jeudi 13 novembre 2008

raoul / antoine

Le seul amour homosexuel qui a compté pour moi a été non abouti. Il était meilleur peintre que moi, plus fin philosophe, il avait du succès avec de très jolies filles. Il était flatté de mon admiration, mais très méprisant à mon égard, sauf quand il avait pour ainsi dire "un message à me transmettre". J'étais assez inconscient de son influence sur moi et surtout, je redoutais le corps-à-corps amoureux, pour lequel je me sentais inapte. Ma seule expérience, dans un cinéma de séance continue qui émettait, à tour de rôle, The eye of the tiger dont la musique me sidère, et La Santa Sangre de Jodorowsky, avec un vieil homme anonyme, fut sans lendemain. Donc, je me suis tourné vers l'écriture et en même temps, faute d'aboutir dans l'amitié platonique, je me suis mis tout simplement à imiter mon ami. J'ai commencé à être meilleur peintre, plus fin philosophe, et j'ai découvert les femmes. Ce sont elles qui m'ont fait goûter les délices et les fruits de la vie, et qui ont fourni le côté charnel de mon oeuvre. Tout cela, avec le recul de la mélancolie, me semble une bien triste jeunesse, tenue par des épingles, qui débouche sur mon actuelle hétérosexualité non exempte de culpabilité, soit de type masochiste, et que j'essaie toujours d'amener à un stade de sublimation.

Quand j'ai parlé avec Léo Scheer de mon éducation politique, que je passe pour l'instant sous silence, j'aurais dû lui dire qu'en tout cas mon histoire est peu conditionnée par les mots de passe de ma génération, étant plutôt celle d'un esthète anachronique, qui s'éduque plutôt avec les classiques et en faisant miroiter la génération de ses parents. L'amour raté avec mon ami était seulement la couronne d'épines qui venait poindre sur ma non-adéquation aux temps. Lui, s'est gardé de m'ôter cette couronne, puisque peut-être dans sa pensée d'artiste elle était faite pour moi. Il m'a fait cadeau, avec le temps et la distance, de l'aveu de son échec dans le bonheur, me laissant songeur à propos du renversement de nos rôles. Moi, je venais d'être père et avait reçu avec patience des femmes le cadeau du bonheur. Lui, débarquait chez moi de plus en plus détruit, et avec la blessure d'un avortement dans un couple fragile. N'empêche que pour moi il reste nimbé de génie et m'amène encore à plonger dans la froide piscine de l'humilité.

Etait-t-il au fond dépendant de mon admiration ? Au point de cultiver son mépris comme son seul mécanisme de contrôle de sa situation. Je ne peux que lui pardonner, faisant alternance de l'admiration et de la compassion. Qui d'autre peut consoler ce maître déchu, qui a stoppé sa carrière, qui s'est enfoncé dans la misanthropie, tandis que moi, qui ne faisait que suivre ses pas, je suis arrivé à une sorte de philanthropie et de communication ?

Un autre ami va permettre que je parle de politique, tout en sachant que les blogs sont surveillés par les espions de la propagande, dorénavant. Donc, une certaine austérité s'impose. Pas de mots de passe, pas d'idées. Alors comment faire ? J'irai par petits bouts. Il avait de solides assises dans la pensée critique et, en plus, était un leader contestataire à l'université, ça je peux le dire. Il avait quitté le marxisme pour l'anarchisme, tout en conservant la structure. J'en ai fait de même. Le facteur de cette évolution étaient les situationnistes. Il a été une sorte de protecteur, me faisant découvrir les choses sans toucher à ma liberté de choix et d'interprétation. Autant, qu'on a failli rompre pour toujours quand je suis devenu plus contestataire que lui. Il a fini par croire au vote utile, tandis que moi je partais dans tous les sens.

Combien n'en est il secondaire, quand je l'ai symboliquement tué et enterré, le dépassant de loin, accomplissant l'artiste qu'il n'a jamais réussi à être, malgré sa facilité pour les jeux de pouvoir et sa protection sur moi ? Sa critique dans une revue d'art à propos de l'une de mes expositions avait été pompeuse et maladroite, excessivement rhétorique et avec quelques mots mal placés. Parfois, je pense qu'il l'a fait à propos, pour garder la clé de notre amitié. Et en fait je n'ai cessé de relire son article me concernant, les années passées, me demandant à quoi il pouvait être en train de penser... Il évoque Kleist à mon sujet, c'est la seule chose qui me flatte, tout en étant fatale.

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