vendredi 25 mars 2011

Trans-blog francophone : Marie-Agnès Michel

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Puisque ça ira


Ça ira, ça va aller, vous allez voir.
Ça ira.
C'est à cause du temps, les gens sont maussades, ils voient tout en noir quand le paysage se couvre de blanc ! Rien que ça, tiens, c'est pas un défaut de perspective? un problème de vision, une manipulation de l'esprit.
Mais qui?
Qui oriente mon esprit?
Personne si j'en crois le Libé des philosophes de jeudi. Le complot de quelques puissants contre la masse des faibles est une dangereuse illusion et wikitruc une bulle de savon soufflée par un irresponsable (possiblement violeur).

D'accord avec eux moi je sais que ça ira, à bas les manipulateurs qui disent « Halte! après on ne sait pas ce que ça donnera mais ce ne sera pas beau à voir ». Vive la philosophie.
Il fait froid l'hiver, chaud l'été. Amis de la sagesse prenez-en de la graine: il pleut en automne et au printemps. Les riches sont riches et les pauvres pauvres. La guerre sous toutes ses formes occupe le globe. Où est le problème ? le monde va comme il va. Philosophons.
Ce serait le contraire qui serait inquiétant, non?
Rien que d'y penser, à un monde différent, le pékin moyen en a des frissons d'angoisse. N'importe quoi pourvu que rien ne change. Que la neige continue de tomber l'hiver et les pauvres à crever de froid, au nom de quoi on chamboulerait tout? Parce que c'est vrai qu'« On n'a rien sans rien » et que « Les choses doivent être ce qu'elles sont ». Point.

Rien que de penser à un monde différent le pékin moyen se sent devenir tueur.
D'abord pourquoi ça devrait changer puisque ça ira?
Le chômage gagne comme un feu de paille qui deviendra feu de forêt, qui deviendra feu de cité et détruira Rome comme Londres, il gagne comme un enfoiré qui se la joue innocent des dégâts qu'il s'apprête à causer. Qu'il a déjà causé, mais sur la propriété des voisins, il n'a pas encore gagné la nôtre, enfin un peu quoi, une contagion de suicides ici ou là, une poignée de pères/mères fous qui trucident leur famille, des grèves, des manifestations, rien d'insurmontable ou d'anormal, on gère, on envoie les canadairs et on gère.

Le pékin moyen est un philosophe, il tue aussi bien que n'importe quel tueur. Sa cible favorite en temps de crise ce sont ceux qui lui disent : « C'est la cata ». Là il voit rouge. Moins que lorsque ses yeux seront irrités par le feu qui aura gagné partout mais comme il ne le sait pas encore s'il voit rouge c'est contre les prophètes de malheur.
Cet ami de la sagesse n'aime pas gaspiller sa salive inutilement. Il ne parle jamais pour ne rien dire et quand le bateau coule ne voit pas l'utilité de le crier dans les coursives. Il préfère alors, plutôt que des cris écorchant les oreilles, entendre les notes lénifiantes d'un orchestre en costume d'orchestre. Pas de tenue débraillée, quand le bateau coule, et certes pas pour les employés: le pékin moyen tient avant tout à sauver les apparences personnelles. Les femmes et les enfants on verra après.
Mais ça ira.


Le feu gagne, le bateau coule, ce ne sont que des mots.
Supers contents de jouer aux journalistes, les philosophes.
J'ai été voir leur nom à chaque fin d'article et lu attentivement toutes leurs activités ci-notées. Leurs titres, leurs postes, leurs ouvrages, leurs plus si affinités renvoyant à d'autres travaux d'autres philosophes morts ou vivants.
La philosophie est une passerelle entre les morts et les vivants, dixit Bibi, et le Libé des philosophes un pont entre deux Temps, celui de l'immédiat et celui de la réflexion posée, dixit un philosophe (à peu près).

La mort... la vie... et le journalisme
à quand le jour où les journalistes auront le droit de se lâcher dans un numéro. Vas-y coco, crache ta soupe Perso aujourd'hui.
On lit toute l'année ce qu'ils Doivent nous dire, ce serait quand même drôle d'avoir accès une fois par an à ce qu'ils ont Dans Leur Crâne.
Qu'ils prennent exemple sur les philosophes.

L'avantage de savoir que ça ira c'est que ça donne de la distance par rapport aux événements. Du coup, au lieu de gaspiller sa salive inutilement à émettre des sons discordants on peut produire du discours. Et c'est réellement passionnant le contenu d'un crâne de philosophe, pour commencer on y rencontre foultitude de gens intéressants, on se trouve entre gens de bonne compagnie et on le sait.

Même si à quoi je m'attendais? j'ai les boules.
Je m'attendais à un feu pare-feu attaquant de front lui, et non s'aplatissant devant l'autre sournois, celui qui n'est qu'une névrose généralisée. Puisque ça ira.
Un feu de l'esprit contre les esprits mauvais et merde à la réflexion posée.
Plus le temps, par ce temps, de continuer à faire joujou avec les beaux jouets du passé; où sont les hérauts du présent ? Philosophes de la baston des mots prêts à envisager sans frissons d'angoisse que les choses puissent changer pour le meilleur et non toujours plus pire.

On croit avoir atteint le fond? Attends, ça ira, ce sera tellement pire que ça ne pourra qu'aller mieux pour ceux qui seront encore là pour le dire.
Où sont les philosophes ? sur quel front universitaire classent-ils leurs papiers?
Franchement, s'il y en avait un/e, un/e seul/e capable de faire battre le sang de ses troupes d'intellos on le saurait, non? ils feraient du bruit, non? s'ils empoignaient les mots au lieu de les réciter (voire susurrer). De véritables disciples de la raison, ô amis de la sagesse, seraient actuellement en train d'éructer, s'ils existaient. Brandiraient leurs mots en poings sans pointillés à la face hideuse des esprits mauvais de ce temps.

Hideuse. Nous sommes les enfants d'un vingtième siècle hideux qui a engendré l'innommable, mais aucune importance, remontons avant, avançons après, nions Notre Présent. L'Hier dans l'Aujourd'hui. Les chiffres insensés auxquels nous nous sommes habitués comme à notre pain (ou riz ou pâtes) quotidiens. Ou hebdomadaires.
Continuons à nier qu'il y a comme un défaut dans la machine et philosophons; ça ira.
Un défaut si énorme, trou noir béant, que c'est même à se demander si le défaut lui-même n'est pas la machine. Qui broie et broie et continuera à broyer.
De la chair, des humains, des chiffres...


chiffres qui donneraient comme une envie de philosopher.
Drôle de boulot, soit dit en passant. Bien payé? Je n'ose pas demander à quoi ça sert? parce qu'à quoi ça sert je m'en doute, même si ce n'est pas dans le numéro de jeudi que j'en trouverai la preuve.

Un feu pare-feu pour brûler les déraisons d'un siècle qui n'a pas fini avec celui-ci. Un feu purificateur auquel les médecins de l'âme que devraient être, aussi, les philosophes – la bataille fait rage, toutes les volontés sont sollicitées et les réservistes rappelés au front – pourraient passer le scalpel de leurs mots.
Mais ouille, des mots-scalpels? et pourquoi pas des coupe-coupe tant qu'on y est ?
Oui, pourquoi pas tailler un chemin à la machette dans les broussailles de l'incompréhensible.
Pourquoi pas attaquer l'hydre à la lance s'il faut. À la kalach, au char d'assaut. Si on lui balançait des rafales de mots à têtes chercheuses, des bombes pas à retardement, à l'hydre, plutôt que de lui tresser des guirlandes, qui sait si elle ne mettrait pas genou à terre?
Au lieu de broyer et broyer et broiera encore.

Mais je m'égare, ça rira, ça rira demain. Quand on sera tous pendus à la lanterne, rira bien qui rira le dernier ? Pas sûr, certains pourraient trouver ardu d'assister à l'agonie des autres. Au combientième ils craqueront et demanderont à passer le suivant, au combientième ils iront tout seuls se pendre sans attendre leur tour dans la file?
Ouh là, je suis en train de me laisser déborder par le fatalisme ambiant moi, vite, force jaune, force bleue, force philosophie.


(auteure : Marie-Agnès Michel)

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