vendredi 22 avril 2011

Le Monde est aux monstres


(à propos de l'écriture de Marie-Agnès Michel)


Le Monde est aux monstres. En lisant les brouillons du roman de Marie-Agnès Michel qui doit sortir cette année, je me disais que plutôt que d'écrire un article, n'étant pas critique, je voudrais bientôt discuter avec elle un peu de tout devant un micro. Mais voilà que, la lecture des brouillons mûrissant dans mon esprit, je m'avance avec l'imagination sur ce futur entretien. Je me sens plutôt pressé de lui dire plein de choses, dont cette exclamation : Le Monde est aux monstres !!!


Ma rage, j'ai dû beaucoup la mâcher pour me rendre compte que j'étais impuissant à donner le texte mérité à Marie-Agnès. J'aurais dû parler de la destinée maudite inscrite dans ses livres. J'aurais dû rendre justice à la nuance, au luxe, à l'aristocratie de l'esprit (Bataille et cie.) et à celle cabalistique du texte - junk, beat, pulse, la touche Kathy Acker, la touche Eileen Myles, baroque et construite en même temps, le rendu adolescent de l'innocence qui échappe à toute lecture non initiée -, à la lente distillation de l'or, des drogues à venir, au triomphe de la ruine, de la jouvence et du cristal, ce que le manque et la rage m'empêchent d'écrire à présent. J'aurais dû m'attaquer aux éditeurs, aux critiques, aux mornes lecteurs à l'âme de délateur. J'aurais aimé même, pris d'enthousiasme, m'attaquer à ceux que je connais et leur foutre un bon coup de poing à l'estomac. Que juste pour une banale mise en ligne, ses textes, tout comme les miens, soient objet d'un si scrupuleux et précieux refus, me fait tordre de rire. Il semblerait qu'un Australien consulté a vérifié des fautes d'anglais honteuses. Et quoi d'autre ?


Des auteurs petit-bourgeois qui n'ont jamais réussi une ligne se recyclent en surveillants de la bonne grammaire. Pour quoi faire, ce zèle ? Ils prennent goût à mettre des zéros aux mauvais élèves, comme on sait, depuis qu'Erasme nous le raconte. Les ânes professeurs qui ont brûlé les livres de Pic, brûlé Bruno en personne et tant d'autres. Encore aujourd'hui l'étiquette "être un Pic de la Mirandole" est une disqualification au nom de la correction du texte et du style.


Un texte commun, écrit ensemble avec Marie-Agnès, est dénoncé comme sulfureux avec pompe et tonalité sadiquement didactique par un ridicule éditeur on line de Bordeaux. Il n'avait même pas à payer des droits d'auteur et il était cérémonieux comme un ministre ou un usurier délirant. Qu'est-ce qu'ils savent de nous les mongoliens de Bordeaux pour nous déclarer unanimement personae non gratae ? Ils savent, oui, ils ont l'instinct et l'intelligence d'une pieuvre, leur métier médiocre ils le connaissent bien, les universités, la famille, les clubs gastronomiques et l'herméneutique chauve de Deleuze pour perroquets bon-enfant sont faits pour cela.


Attention aux philistins bordelais, je suis sûr qu'ils vont sortir tous leurs titres, leurs accréditations de service d'ordre, de bons élèves, de parvenus naturels et à ne pas rater. Ils sont en vie dans les musées, dans les librairies, ou ils sont lecture obligée à la crèche, ou ils ont un site, du moins, ils ont surtout "une ligne éditoriale". Le service d''ordre, attention, se prend pour l'arbitre de la distinction, leurs leçons apprises et leur orthographe et leur propreté de vieilles filles ne parlent pas la langue de l'aristocrate, du renonçant, du casseur.


La quintessence que l'on donne en pâture au laboureur de notre tour d'ivoire, prison ou pissotière, exil, parfois luxueux, mais toujours solitaire, est toujours le même ivoire, celui de la corne du rêve, et de la défense d'éléphant, un trafique d'outre-tombe.


Un des rares traits naïfs de Marie-Agnès, ou une fausse modestie, lui a fait me transmettre ce qu'un éditeur lui avait annoncé depuis son deuxième livre, qu'elle était "sur une liste rouge". "Liste noire" était pour nous, autour de la chicorée grise de Montmartre, une couleur trop de fois avalée.


Qu'ils s'accrochent, qu'ils se vissent à leurs chaises : le Monde est aux monstres.


...

1 commentaire:

rip a dit…

pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'il font

un abat-jour, n'est-ce pas pour se protéger de la lumière ?