lundi 15 août 2011

Sur Dante XIII (Virgile thérapeute + Béatrice infirmière)


Je ne pourrais poursuivre sans un retour en Enfer, et sans me référer au bref Sur Dante de Witold Gombrowicz. Justes, ses remarques, qui auraient pu être celles de Cavalcanti.

De prime abord, j'avais gardé en tête comme si c'était l'essentiel des critiques de W.G., que je lisais comme des observations "entre écrivains" (même d'un siècle à un autre), un paragraphe que je vais transcrire :
"En fait le Mal absolu doit être "mauvais" dans son être également. Le Mal voulant le mal et uniquement le mal ne saurait se réaliser "bien", c'est à dire pleinement. L'homme "mauvais" commet un acte mauvais - tuer son voisin, par exemple -, mais, pour lui, ce mal est un bien; il ne le commet pas du tout parce que c'est mal, mais parce que pour lui, c'est bien, ça l'arrange bien... et il veut le faire "bien", non pas mal. C'est un homme comme tout le monde, il cherche le bien; la seule différence, c'est que ce "bien", il le voit dans le crime... Mais Satan ? Satan veut le mal, uniquement le mal, il ne saurait vouloir le bien: aussi bien, à tant qu'être Satan, il veut l'être "mal". L'Enfer est chose mal réalisée. Il est vicié dans son être même. Il est de pacotille."

Mais cela n'explique pas la perfection infernale. Cela venait, lu en surface, juste flatter mon mépris des classiques, me faire rigoler. La justesse définitive et le corollaire de ce que disait là Gombrowicz m'échappaient, je n'avais pas simplement en jeune artiste besoin d'aller plus loin... Présentement je tombe sur d'autres remarques dans ce petit essai qui renouent avec les intentions inaugurales de ma rédaction, et sur lesquelles je vais pouvoir rebondir; je cite :

"Et voilà que lui, il écrit sur la porte de l'Enfer :

Je fus créé par le Suprême Amour

Comment expliquer cela sinon qu'il écrit par peur ou par bassesse... par la plus lâche des flatteries ? Terrorisé et tremblant d'horreur, il en vient à rendre l'hommage suprême à la suprême terreur, en baptisant Suprême Amour le comble de la cruauté. Jamais le terme d'"Amour" n'aurait été employé avec une impudence aussi paradoxale. Nul mot en langue humaine n'aura été appliqué de manière plus effrontément perverse. Et ce nom est précisément le nom le plus sacré, le plus chéri entre tous. Il nous tombe des mains, le livre de la honte, et nos lèvres meurtries murmurent : il n'avait pas le droit."

Botticelli est censé, selon l'élogieuse édition de Diane de Selliers, avoir mieux réussi, soit avoir atteint le sublime, avec ses dessins les plus dépouillés, ceux du Paradis. Ouais, presque du Rothko, c'est top, chers amis... Mais il y a plus de travail et plus de planches en cours de finition pour l'Enfer (comme chez William Blake d'ailleurs...), voire des planches coloriés. Revenons donc à Florence, à Cavalcanti, à Pound, à littérature en anglais si vous voulez...

Mais d'abord Cavalcanti vu par un poète espagnol appartenant au petit groupe des "vénitiens"...

A CAVALCANTI
"Per ch'i no spero per ch'i no spero di tornar, per ch'i no spero di tornar giamaix".

Guido Cavalcanti

Espero que nos hagas la historia de todos los olvidos
del olvido de mi frente en la marea de la copa
donde un cielo diminuto se axfisia
en la marea cruel de la cerveza
do yace el hombre
como un invierno muerto entre la yedra,
entre la hiedra cruel de la memoria.

Ayudame a vencer a los pajaros que
persiguen al hombre.

Todo vendra tan silenciosamente en el viento
como un arbol que en la pagina arde.

Leopoldo Maria Panero, Guarida del animal que no existe (1998)

Laissez moi traduire ainsi :

"Parce que je n'espère
parce que je n'espère revenir
parce que je n'espère revenir jamais"

GC

J'espère que tu nous feras l'histoire de tous les oublis
de l'oubli de mon front dans la hale de ma coupe
où vient s'asphyxier un ciel dérisoire
à la hale cruelle de la bière
où gît l'homme
tel un hiver mort d'avec le lierre,
d'avec le lierre cruel de la mémoire.
Aide-moi à vaincre les oiseaux qui
persécutent l'homme.
Tout viendra si silencieusement l'hiver
tel un arbre qui flambe au fond de la page.

LMP (1998)

Les petites professeurs italiennes, françaises, américaines (les espagnoles s'en foutent, Dieu merci) hallucinent avec la splendide opportunité qui est fournie par l'Enfer de Dante de ne voir que des hommes nus se faire enculer, tordre, mordre, bouillir... avec la distinction de leurs études et de leur régime de retraite mondaine d'écrivains virtuelles... Dante annonce déjà la hale répressive et le retour de bâton du féminisme procédurier.

Est-ce que les femmes sont vraiment pour le divorce ? Pour l'avortement je n'ai pas le moindre doute... mais pour le divorce ?

Au Ciel Béatrice, soit Madame la Marquise, et en Enfer les cochoncétés masculines, le passé, les microbes... et qu'ils sont émouvants, ces microbes. La psychologue de la clinique, pendant qu'elle prenait un café devant moi et que je bavais du sang sur sa table de luxe, me conseillait de "déconstruire l'institution", pour avoir une chance de sortir de l'hôpital. Ah, non, mais quel luxe, je peux même me faire expliquer la philosophie française... si j'arrive à la comprendre, parce que sinon, retour à la case départ... Et ça veut dire tellement de choses "départ"...

Rien qui ne siège plus parfaitement à la définition péjorative du "patriarcat" que le "matriarcat", le premier et tête de tout autre système... le matriarcat m'a toujours fait fantasmer, puisqu'il n'a lieu que dans le masochisme. La lectrice de l'Enfer est en confiance avec Dante et Virgile, deux mecs et virils et chastes, disons tout-court des impuissants, testicules obstrués. Ouais, l'Enfer, c'est beaucoup mieux, nous avons lu ensemble le Paradis juste en ouvre-bouche. Evidemment le Purgatoire les femmes que j'ai connu, toutes font la même chose, ça n'existe pas, on zappe.

Le Matriarcat de l'Eglise, celui de la Medecine...

Preuve première

Le Dracula de B. Stoker, encore :

DR SEWARD'S DIARY

5 June. - The case of Renfield grows more interesting the more I get to understand the man. He has certain qualities very largely developed : selfishness, secrecy, and purpose. I wish I could get at what is the object of the latter. He seems to have some settled scheme of his own. but what it is I do not yet know. His redeeming quality is a love of animals, though, indeed, he has such curious turns in it that I sometimes imagine he is only abnormally cruel. His pets are of odd sorts. (pensons à la plasticité - destructrice ? - des mises en abîme dantesques) Just now his hobby is catching flies. (nous sommes ramenés au "hobby horse" d'un autre roman, le Tristram Shandy) He has at present such a quantity that I have had myself to expostulate. (...)

Preuve seconde

The Naked Lunch, de W. Burroughs :

"The case of a female agent who forgot her real identity and merged with her cover story - she is still a fricteuse in Annexia - put me in another gimmick. An agent is trained to deny his agent identity by asserting his cover story. So why not use psychic jiu-jitsu and go along with him? Suggest that his cover story is his identity and that he has no other. His agent identity becomes unconscious, that is, out of his control; and you can dig it with drugs and hypnosis. You can make a square heterosex queer with this angle... that is, reinforce and second his rejection of normally latent homosexual trends - at the same time depriving him from cunt and subjecting him to homosex stimulation. (...) Many subjects are vulnerable to sexual humiliation. Nackedness, stimulation with aphrodisiacs, constant supervision to embarrass subject and prevent relief of masturbation (erections during sleep automatically turn on an enormous vibrating electric buzzer that throws the subject out of bed into cold water, thus reducing the incidence of wet dreams to a minimum). Kicks to hypnotize a priest and tell him he is about to consummate the union with the Lamb - then steer a randy old sheep up his ass."

Bah, bah, je n'ai pas écrit le paragraphe précédent...

Je n'ai pas parlé de psychanalyse là-dedans... "compulsive free-association in two hours sessions"... du terre à terre, de la bouteille...

Alors, mon cher Botticelli, d'où vient ce changement ? Toi qui as peint Vénus nue et puis tu l'as faite habillée ? Tu te souviens de Goya et les deux Majas ("vestida" et "desnuda") dont on dit qu'elles sont d'après pose de la Duchesse d'Alba ? Il n'est pas devenu chrétien, l'espagnol, ni lui, ni Picasso. Pourquoi tu passes aux rangs de la chrétienté, toi et plus tard le camarade japonais de l'Ecole de Paris, notre cher Foujita ? Je te connais, mon vieux, tu n'as pas changé. Tu restes un des nôtres... Béatrice dans tes planches est une autre Vénus, une autre Simonetta Vespucci (la petite cochonne)... frigide, tu dis ? ça doit t'arranger, à ton age... Tu dessines, tu dessines des projets mégalomanes pour empêcher le Réel, même topo qu'avant... tu n'as pas changé.

Je peux fournir une troisième preuve ? Si déjà Naked Lunch l'on se doit de l'avoir à l'étagère, mais surtout pas rentrer dedans ou en raconter la fin, la fin, la finesse de l'histoire... alors, le livre suivant est labellé en France, "à consommer avec modération", sinon "êtes vous sur de vouloir avoir ce livre ?" (littéralement depuis plusieurs vendeurs consultés oralement et par courrier). Mais il faut parler de l'Enfer, n'est-ce pas ?

Troisième preuve

Shivitti, a vision, de Ka-Tzetnik 135633 :

THE DOCTOR'S WORD
"...(Yehiel De-Nur) gives us an impressive description, on a conscious as well as an unconscious level, of the mind of a man who narrowly escaped death at Auschwitz. (...) Yehiel De-Nur did not want to undergo this treatment, wich he feared greatly (...) I make it clear to my patients that the treatment I offer involves reliving the inferno of their trauma (...) difference:this time they will not go it alone in hell.

(si l'on prend compte que, dans ce livre, la Médecine, qu'on comparait au Matriarcat de l'Eglise, n'est pas "très catholique", le traitement consistant à injecter du LSD pendant les séances, la question reste très proche de la "vie future" pour laquelle je mettais l'accent sur l'idéologie thomiste de la Divine Comédie... et surtout la fonction de Virgile, le guide... on continue...)

"In words that could not be improved, Ka-Tzetnik 135633 has descrived his existence in hell - in that near-death proximity to Satan, but also to God. He does not systematically quote all the conversations recorded on the tapes he took away with him, but with great skill conveys their essence in word and image, and in a way so expressive and imaginative that the reader must realize what this human beeing experienced during the death-years (...) How touching that moment when, ten years later, concluding his self-treatment with the writting of this book, he phoned his wife two oceans away crying, "Nike, it's happened. It's happened, Nike."

Bref... CQFD en égard de Virgile, puisqu'il est secondé d'une Béatrice... sa jeune femme et traductrice du manuscrit hebreux en best-seller anglo-saxon... mais il faudrait mieux se pencher sur les déplacements opérés entre la "vie future" en entonnoir moyen-ageux et les romans sur Auschwitz de Ka-Tzetnik, depuis Salamandre - pour laquelle je peux pas dire, puisque je ne l'ai pas trouvée -, en passant par les Feld-Hure de House of Dolls, l'horreur extrême de Moni, les pensées et souvenirs de Sunrise over Hell, jusqu'au livre proprement conclusif et thérapeutique, mais aussi la plus haute "vision" qui nous rappelle notre sujet Dante, qui est contenue dans Shivitti. Il semblerait que l'étalage d'hypothèses imagées n'est pas l'apanage de l'avenir d'outre-tombe, mais, par l'intermédiaire du traumatique, concernent la prise de conscience sur l'Histoire elle-même, dans sa consommation et sa "fin" à Auschwitz...

En tout cas, d'autres questions soulevées par les trois "preuves", je suis en train d'essayer de les décliner pendant que vous lisez ce "chapitre". A bien-tôt, donc...

(les voici prêtes à vos clics)


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