mardi 2 août 2011

Sur Dante XI

La Tempestad



Revenons sur les rêveries enfantines du fils du neveu de Pic de la Mirandole. Une nourrice pieuse lui a instillé "des images", plus aptes que les Commandements à la persuasion. L'ouvrier en chômage qui rêve en écoutant de la musique piratée n'en est pas loin du monde imaginaire de Jean-Thomas. Des remparts en pierres précieuses, des anges musiciens qui font tourbillonner le danseur au bout de l'univers...

Qu'il y en ait un huitième Ciel au dessus des sept connus, survolant les têtes des nommés "vivants", selon Ezéchiel, ou qu'il y en ait selon Hénoch 955 cieux outre les sept que nous aspirons à fouiller, ceux-ci juste pour la délectation de Dieu lui-même, qui sait bien se conformer de 955 et en faire aisément usage... qu'il y ait des chaudrons, de la poix, de la fumée et de la merde là où se trouvent ceux qui ont transgressé la Loi... La Mort est le point de départ de tout récit, ce qui reste ébauché, couvert des couches successives de notre instruction, toujours des litanies, des berceuses pour le faux départ de notre éveil.

Et puisque le Ciel a duré si peu... à peine quelques photos d'un Woodstock qu'on a pas connu. Et puisque le Ciel tue tout, puisque le plaisir ne fera que nous abîmer encore plus que la réalité... on cherche Dieu comme la femme cherche un homme, ou parfois l'homme cherche une mère, que ce soit pour lui ou pour son sperme...

L'on lit Thérèse d'Avila qui monte au Ciel au sein d'elle-même, au sein d'un livre à elle-même, et l'on sort du moindre conatus d'attention tel un projectile, ou tel le soupir. Elle nous parle, elle nous a trouvés, nous l'avons trouvée, et l'âme, le Château au passage. Tout ce qu'elle peut raconter, nous parlant d'un siècle à l'autre sans se poser de retenue... l'on se dit : je peux danser, je peux m'enivrer à présent, et le livre nous endort, si ce n'est le chat du désir et de la conscience qui nous retient de nous jeter carrément dans les flammes...

Béatrice ? Béatrice... ? Béatrice Cenci je crois pas.


The portrait of Beatrice at the Colonna Palace is admirable as a work of art: it was taken by Guido during her confinement in prison. But it is most interesting as a just representation of one of the loveliest specimens of the workmanship of Nature. There is a fixed and pale composure upon the features: she seems sad and stricken down in spirit, yet the despair thus expressed is lightened by the patience of gentleness. Her head is bound with folds of white drapery from which the yellow strings of her golden hair escape, and fall about her neck. The moulding of her face is exquisitely delicate; the eyebrows are distinct and arched: the lips have that permanent meaning of imagination and sensibility which suffering has not repressed and which it seems as if death scarcely could extinguish. Her forehead is large and clear; her eyes, which we are told were remarkable for their vivacity, are swollen with weeping and lustreless, but beautifully tender and serene. In the whole mien there is a simplicity and dignity which, united with her exquisite loveliness and deep sorrow, are inexpressibly pathetic. Beatrice Cenci appears to have been one of those rare persons in whom energy and gentleness dwell together without destroying one another: her nature was simple and profound. The crimes and miseries in which she was an actor and a sufferer are as the mask and the mantle in which circumstances clothed her for her impersonation on the scene of the world.

PERCY B. SHELLEY

Les descriptions françaises de Stendhal et Artaud, je ne les avais à la portée de la main. Leur Béatrice est mise à mort au cours de l'oeuvre, ayant elle-même mis à mort son père, et elle est destinée à la mise à mort par la justice des hommes. Rien qui la rende exclusive poupée comme celle de Dante. La jeune Cenci a subi encore plus de ce que la jouissance du poète peut s'accorder. Il va sans dire que l'intérêt d'Artaud pour l'histoire de crime et d'innocence à l'italienne est à mettre en parallèle avec sa peu connue "traduction" du Moine de Lewis...

L'Eglise en tout cas, dès qu'on touche aux cadavres... des signaux religieuses les ponctuent selon une certaine urbanité. Quant aux autres...

Laissons parler l'Agnès de l'adaptation d'Antonin Artaud du Moine de Lewis :

"Ecoutez-moi, poursuivit-elle, homme au coeur dur ! Ecoutez-moi. Vous auriez pu me sauver, vous auriez pu me rendre au bonheur et à la vie; un mot de vous et je redevenais pure, irréprochable, vertueuse; vous ne l'avez pas voulu. Vous êtes le destructeur de mon âme, vous êtes mon assassin ! A vous incombe la faute de ma mort et de celle de mon enfant ! Honnête, fier de votre vertu encore inattaquée, vous avez tenu pour rien les prières du repentir, mais Dieu sera miséricordieux là où vous n'avez pas su l'être ! Et où est le mérite de votre vertu si vantée ? Quelles tentations avez vous vaincues ? Lâche ! Vous avez fui la séduction, vous ne l'avez jamais combattue d'en face; mais, patience, le jour de l'épreuve arrivera aussi pour vous. Oh ! alors, quand, courbé par la violence des passions, vous sentirez que l'homme est faible et sujet à errer, (...)"

Euh, ah... Eureka ! cette satanée Divine Comédie... c'est de l'Art Brut ? C'est pas ça ? Une solution de compromis pour la plus raisonnable des crédules paranoïas de la littérature. Un truc à la Wölfli.

Nous dansons tous, morts ou vivants, qu'est-ce que ça fait ? La sarabande, la Peste Noire... l'art est le lieu où le timide se rattrape pour enfin mourir sur la même mélodie que le convulse et la strip-teaseuse, que l'eau et le feu. Faut pas se soucier de ce qu'on écrit. Notre ambition de Mort viendra dépasser toute durée imaginable.

Nous dansons tous, semble nous dire l'Agnès punie que je viens de citer. Il y en a qui semblent vouloir doser, s'épargner du regard, fournir autre chose, dresser des écrans, de sceaux, fermer les livres, organiser le cosmos, se mettre des fausses moustaches, va...

Dante et Cavalcanti c'est dire Béatrice et Una giovane donna di Tolosa, ou Se m'ha del tutto obliato Merzede... c'est dire que Klossowski et Jouve est de dire Roberte/Diane et Catherine Crachat... Hécate, n'est-ce pas ?

C'est dire le noyau dur (ou incommunicable) et la littérature (qui se perd, du fait de communiquer)...


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