mardi 16 août 2011

Sur Dante XIV



Avez-vous pensé comment elles peuvent être terrifiantes les paraboles du Christ ? Je viens de faire un cauchemar à propos de celle du "fils prodigue", historiette qui me tord sur la mélancolie depuis l'enfance, masochisme ou sacrifice de soi déguisé sous le dicté d'une culpabilité sans appel. Mes amis, il n'y a rien qui aille de soi pour l'âme dans ces domaines du réel (dont le fameux virtuel n'est qu'une prolongation et une insupportable intensification).

Bilan transpiration ? Pour regarder Marie Trintignant ? C'est ça qui s'affiche.

Il s'avère pour tous que le Ciel est un mensonge, mais l'on en vient à se trouver au Paradis. Ce qui est terrifiant. Je venais reprendre la question soulevée par le fragment du Naked Lunch où il en est question de l'effacement de par notre "cover story". Le mensonge qui est censé nous protéger... et qui nous rend manipulés, comme des marionnettes, comme des diskynésiques.

La "vie future" n'est pas sans rapport à l'effacement dans la "cover story".

Ce qui serait risible de considérer en écrivant un XIIIeme chapitre d'un "essai" (disons rédaction tout court) "Sur Dante", ce serait que le thérapeute applaudisse ce pitre de peintre d'avoir enfin trouvé un "sujet". Voire une "cover story", comme celle du métier même de peintre. Déjà qu'"écrivain" n'est plus qu'une case à cocher au Pôle Emploi...

Des frites rancies qui restaient dans le placard et de la chicorée sans lait. L'on engage une petite conversation à la cuisine sur ce que serait ce à quoi on peut appliquer dans le domaine de ce travail le surnom de "rance". Me dit-on, "ouais, papa, cette société est toute rance", visiblement pour me faire marcher. Je vais partir avec ça ? Mais non, restons sur ce qu'elle est "pourrie", comme il est convenu de dire. Sinon le "rance" ne serait pas différent du pourri et nous aurions tombé tellement bas que nous prendrions des produits non seulement rances, mais pourris, comme ce qu'on sort de la poubelle. "Attends, petit, demain peut-être nous sortirons des pourritures de la poubelle pour nous nourrir, mais pour l'instant nous avons juste une diète de frites rancies." Ce qui est rance, je dis accoudé au seuil de la cuisine, ce serait plutôt la mémoire, non ? Les choses qu'on veut conserver trop longtemps... Peut-être l'oubli ? Ce qu'on a voulu conserver, qu'on a caché avec le propos de s'en servir, et qu'on ne ressort que trop tard du placard...

Il faut se payer le culot du rance, quand la société est pourrie.

On n'est pas passés encore à Ezra Pound, mais le regret d'avoir fait la touche "speed" sur Shivitti va retarder ce poème énorme que sont les Cantos. La "vision" de Ka-Tzetnik sur Auschwitz est pour moi plus "divine" que la Comédie de Dante, qui s'évanouit aussi à chaque séance, mais qui reste un vulgarisateur du "fondement" hallucinatoire et ethnique des bourreaux qui allaient venir. J'ouvre au hasard :

"Standing by my side (...) refusing to say Kaddish over Pinni, his dead son, while staggering towards me from the cavernous barracks, drunk and half-naked, comes the German blonde. She's been in the S.S. living quarters, where the staff are raping the Jewish girls she's delivered from the women's camp. As a rule, when these orgiastic shouts come bursting out at me from the forbidden S.S. quarters, I spring for cover in the dark between the ground and the hutch planks. Too late. She staggers towards me. She kneels at my feet. She caresses the hem of my immaculate smock, blubbering, "My Savior...""

Ce passage est à rapporter sur un autre passage où la même femme blonde habillée en officière S.S. se prosterne devant le futur rescapé en s'exclamant qu'il a le visage du Christ. L'on note que c'est elle qui a envoyé Daniella, la soeur de l'auteur, mourir comme jouet érotique des bourreaux, dans la Joy Division du camp. L'on note que de prime abord l'auteur, dans la séance de visions induites par l'acide, donne une sorte de bénédiction à cette lascive ogresse, cette chimère mêlant Eros et Thanatos, telle les sphinx... L'on se doit de noter, si fidèles à la "vision", que de prime abord il est question du mystère du souffle de Dieu dans l'argile encore inanimée d'Adam, vécue comme la propre mise à mort du narrateur, qui ne peut être humain que s'il est sacrifié au sadisme des Autres humains, ceux qu'ont construit Auschwitz, et qui construiront encore Auschwitz, et Auschwitz, puisque l'on n'aura plus de mots, plus de langue, l'Histoire patriarcale finie au XXe siècle, le Matriarcat restitué pour toujours, le plutonium qui pète de partout, la Toile telle cette blonde allemande qui vient nous flatter et nous diviniser tout en portant sur soi une tenue militaire, une croix gammée...

C'est à rapporter du coup, tout comme le thomisme de Dante, à Aristote. La Sixième Voie d'Aboulafia, sur laquelle je me vois renvoyé par l'évocation du "I see myself shedding my body in preparation to Neshama's flight." au milieu de l'horreur, laissant de côté Ka-Tzetnik et reprenant L'épitre des sept voies, dans la traduction de Jean-Christophe Attias, nous dit que "Il s'agit de ceux dont l'activité vient à s'associer (ou à ressembler) a celle de l'Intellect Agent." Le traducteur de ce passage d'Aboulafia nous signale en note en bas de page que :

"Tandis que l'intellect humain réside dans le corps et n'est que le réceptacle passif des intelligibles, l'Intellect Agent, quant à lui, vient de l'extérieur dans le composé humain, et c'est lui qui fait les intelligibles et met l'intellect passif à même de s'unir à eux (...)"


"And the Lord God formed man from the dust of the earth, and breathed into his nostrils the soul (Neshama) of life" Gen. 2:7

(lisez la suite - Sur Dante XV - ici)


Respirer serait universel, même au dessus des considérations du Bien et du Mal ?

(voyons l'appendice colorié de Prométhée sur l'annexe)


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