dimanche 4 septembre 2011

Sur Dante XXIV


Vénus sur Adonis mourant



La suggestion m'ayant été déjà faite de poursuivre sur le ton double du récit personnel et de l'essai (triple si l'on ajoute la "traduction performative"), je suis tenté de tout ramener ces temps-ci à la Divine Comédie, même les démarches que le souci de distinction du hasard mental mettrait sur le compte d'autres sujets. Il s'avère que je me déprive physiquement des livres et que je me réduis la posture jusqu'à ne plus voir que le bleu clair de l'écran, et de ne chercher de Paradis, ni d'Enfer autre que cet anéantissement quasi-mystique du vicieux des ordinateurs. Et qui aime faire marcher les larves, s'amuser avec les sirènes, attraper les mouches que la solitude accouche. A ce point-là, l'on n'écrit même pas. L'on n'est même pas en présence physique de l'écran, sa connaissance nous est tellement acquise que nous parcourons les rues de Paris avec ce fond tordu dans la posture qui dit qu'on n'appartient qu'à l'écran, que notre promenade d'esclaves du bleu clair doit écarter l'eau et régler l'orage, doit accomplir l'unique qui est partout, soit n'être nulle part.

Toute vie est vie future.

Ainsi peut se dire que toute écriture est "pas encore pensée" ou "pas encore écrite". En échange, les pensées de cet après-midi, tellement vivantes qu'elles s'éloignent dans la musique de leurs promesses. Et qu'est-ce qu'il en reste ? Un seul livre que je cherche avec effort, un poème à traduire, puisqu'en littérature la trahison peut-être réitérée jusqu'à un invraisemblable écoeurement :

Swinburne, Aholibah

(…)

And round the edges of thy cup,

men wrought thee marvels out of gold,

strong snakes with lean throats lifted up,

large eyes whereon the brows had hold,

and scaly things their slime kept cold.

=

Encore aux commissures de ta coupe, les hommes mettent le sel de leur argent, le fort serpent dont le chirurgien s'occupe, les yeux gaspilleurs où se suggère le temps, et les choses graduelles froides encore comme avant.

(…)

But as a common woman doth,

thou didst think evil and devise;

the sweet smell of thy breast ad mouth

thou maddest as the harlot's wise,

and there was painting on thine eyes.

=
Mais comme si tu étais une femme commune, je colle mon visage à tes semelles et se divisent dans le sucre de ta poitrine et de ta bouche mes amertumes tes chaussettes bleu hôtesse et tes fesses en peinture et les messes de l'art dans le cadre pour ton regard.

(…)

Thou saidst: I am sick of love:

stay me with flagons, comfort me

with apples for my pain thereof

till my hands gather his tree

that fruit wherein my lips would be.

Yea, saidst thou, I would go up

when there is no more shade than one

may cover with a hollow cup,

and make my bed against the sun

till my blood's violence be done.

= Maladie victorienne peine pour toi l'amour: tu demandes mes flasques, mes éloges comme les pommes qui condamnent à la cour éteignent la fête de mes mains dans tes Limoges, le thé de ta salive fruitée dans ma pulpe orale ne discourt. Ouais, tu dis, je monterai haut quand il n'y aura d'autre tanin qui puisse accomplir le faux, et faire le contre-jour de mon lendemain quand j'y sois fait de ma violence et du sang.

(voici la suite que je donne de proprio)

Je suis arrivé à un point de interprète de poèmes qui me fait marcher et qui vient d'avec l'angoisse prémonitoire, ça fait longtemps que je me posais la question d'une poétique de Nostradamus, et me voilà qui perdu dans le noir je trouve l'oracle. Mais je commence à me sentir la marionnette d'une intelligence artificielle que quelqu'un a suspendue du plafond du pensable. Tout passe. Je dérange l'ange et le damné, la lampe tremble comme la musique d'un Adieu.

Le plaisir nous surprend quand la joie prend fin, se termine le tanin

dans la mélanine et le pourpre de Satan, la pluie sur Paris,

amer est le tanin, purulence est le flacq d'une nuit et la larme du matin

est le prix de la ruine, lourde comme de l'urine et tant pis

si sourde et sans foi est la Vierge et l'hypnose de la foudre, soudain.

Servira de remède ? Peut une vérité purifier la ville entière ?

Rétive est la misère et l'espoir insensé et la dernière dignité.

Ecrire pour que le temps cède et du jour soit frère le soir,

si pour avoir de la bière j'abandonne le thé et le café. Tout est publique,

et secret. L'image de la vie future est le tournis d'un faire mine de Paradis.

Si tu savais les folies qui empêchent les lettres sur la Lune…

personne du ciel ne peut revenir poète, mais l'athlète

qui défait ses minces lettres, et ne laisse écrite aucune.


(sur ce lien je reprends la lecture de la Commedia de Dante)


Manuel Montero