samedi 10 septembre 2011

Sur Dante XXVII


mejor que Courbet
foto por Manuel Montero
(recortada)




(pour revenir en arrière au chapitre XXVI veuillez cliquer)

"Nul ne va plus loin sans que le feu le morde". Tenons-nous, non plus tellement à la musique ou à la vision, mais au corpusculaire, au physique de la Comédie. Il s'agit d'un répertoire, d'une topologie où le tempo est dicté par le numen du lieu. Encore plus, un catalogue de preuves factices d'une doctrine qu'on doit classer parmi les délires des classes dominantes au cours de l'Histoire. Saint Thomas d'Aquin donne une liste de réalités à tenir pour telles, Dante les dramatise, les gargarise, Botticelli, lui, les visualise. Si l'on peut voir les flammes du Purgatoire, qui semblent même plaisantes et rythmiques aux pénitents pleins d'espoir, comme un plan à suivre, comme un contrat, il s'agit dans les dessins du Purgatoire de Botticelli, de visualisation encore plus que d'image. Exercice de l'image en tant que préparation du geste.

Prenons Naked Lunch :

C'est ainsi qu'on peut lire les alternances entre l'humour (avec l'histoire du play-boy A.J. au restaurant Chez Robert et son emploi du ketchup qui se termine comme l'Odisée en tuerie) et de la panique d'un état second fatalement plus près du réel que l'état "normal"... Mais je vais montrer ces deux préparations du geste encore plus détachées dans leurs styles sur mesure dans l'écriture michelienne :

7 8 6 10
4 5 9
2 3
1


(je zappe à regret le premier sketch du cabinet de dentiste)

(et je vous livre le début et la fin du sketch 10)

Des toilettes, brasserie ou boîte ? côté Dames.
L'endroit est petit et à la limite de la saleté, éclairé d'une lumière
jaunâtre sur laquelle tranche le néon, au dessus
des deux éviers. Une musique rythmée,
volume sonore proche du bruit, passe par la porte.
Coincée derrière un robinet, une pochette de velours noir.
On entend une chasse d'eau,
le raclement de talons, le froissement de tissus,
enfin le cliquetis d'un verrou.

(...)

Debout face à elle il retrousse sa robe en haut des cuisses,
dévoilant l'élastique en Dim-Up. Puis il la
soulève, l'assied sur la tablette et l'installe d'une secousse,
le dos appuyé à la glace, les hanches
vers l'avant. Sa robe a glissé sur les épaules,
son soutien-gorge, déplacé lui aussi,
comprime la partie inférieure des seins, son maquillage
a coulé. Il lui écarte les cuisses brutalement,
pousse pour se caler au milieu.

Elle est dans la même position que tout à l'heure
(fesses dégagées / courbée vers la glace)
lors qu'elle se maquillait, mais le buste
posé, les reins cambrés. Sa robe
est relevée jusqu'à mi-dos,
il n'a défait que sa braguette.
Les yeux dans les yeux par miroir interposé
ils vont au même rythme, de plus en plus rapide,
jusqu'à ce qu'elle se cabre
avec violence.

L'érection appelle l'érection, le feu appelle le feu. Dans la poétique de la visualisation, l'on pose aujourd'hui la performance sexuelle, l'on pose le feu imaginaire de la douleur voluptueuse du Purgatoire dans le texte de Dante.

Le texte que Dante nous a donné. Ce mort qu'on étudie dans les cercles de réflexion...

... cette apache qu'on fait passer rue Gît-le-Coeur. Elle programme au long de sa carrière, en burroughsienne appliquée, parfois notre angoisse, d'autres notre excitation. Sa lecture est un exercice qui amène à l'exercice. Son écriture est juste le contraire, elle dresse la ligne opératoire du passage de la parole par le récit, par le vivant. Elle est si hautement intellectuelle qu'elle échappe à la dialectique.

Comme quoi il peut toujours se passer des choses rue Gît-le-Coeur...

Autre femme qui s'est trouvée rue Gît-le-Coeur est aussi écrivain du réel, du document soumis au suspense. Comment sinon définir le dressage de la conscience pour la modification du jugement ? Action révolutionnaire puisque amenant à se retourner de toute projection dialectique et décrire le mouvement d'une répétition. Je parle de L'affaire Omar, mensonges et vérités, d'Eve Livet. Il s'agit du texte d'une femme d'action en tant que journaliste d'investigation, il est un texte en action, un battement de casseroles ou une barricade qui tranche les voies de circulation du mensonge. Il pratique la minutie, ce livre, avec la même panique découpée, les mêmes sauts, la même éloquence, la même passion de Saint Sébastien que le Naked Lunch.

Je sais que la portée du "collage" de rapprochements que je viens de faire est non moins "sadien" (dans le sens de l'écriture, où le sadisme aurait sa qualité pathologique mise en interdit, suspendue) que la prétention athée du Divin Marquis. Dans l'ajout, après dormir quelques heures, je veux utiliser pour colle une autre visualisation granuleuse qui m'avait frappé et que je n'ai comprise que par la suite (en lisant un roman ultérieur du même auteur). Elle se trouve dans The Mind Crime of August Saint, d'Alain Arias-Misson :

"EROS SHUDDERED
That evening the atmosphere was frantic with celebration, and he enjoyed a brief if vicarious fame. Several buffet tables had been joined together to accomodate the crowd and formed a long L, and August sat just around the corner of the L, so that he could observe most of the guests. A lot of banter went back and forth at his expense, about the voracious appetite of the dead, and why he was called Lazarus. He should have realized something was wrong however; the composition of the tableau had changed, the Master and his friends were gone, he could not recognize many of the people who had remained, nor make out their positions or what they were doing because of his perspective which showed them inn a sharp slant. (...)"

Il s'agit dans l'écriture à titre de visualisation "en avance", toujours de "composition" et ça fait toujours des "wrong" aux effets de "perspective". Il y a une violence fondatrice pour ces écritures qui sortent "du panique de la page blanche", du trac scénique, de la "tauromachie" de l'écriture, peut-être, pour les personnes que j'ai mis ici ensemble. Et, sinon, de la froideur de l'acte, de l'instruction... Du moins je ne peux pas donner dans la facilité de les expédier en tant que écriture "innocente" comme j'ai fait dans la confrontation de la plupart des textes contemporains que j'ai voulu complimenter.

Cela vient traduire la disruption de la musique dans la "(ut pictura) poesis", puisque l'on n'est plus, comme Horace aurait prévu, sur le terrain sûr d'un acquis de l'harmonie par l'office du "métier", mais dans le granulaire qui vient exprimer la puissance du son par son absence, par l'image (figurée chez Alain Arias-Misson avec cette "lettre L") en tant que "bruit", ou dans le cas d'Eve Livet, par le caractère d'impossibilité de la modification de l'injustice du sujet dont on écrit.

Il y a dans la plupart des choix de la Divina Commedia ce travers, cette difficulté, ce ne pas être la solution ni l'harmonie pour résoudre le tiraillement entre musique et peinture, mais une discontinuité qui rend en forme de coupure intermittente leur antagonisme, d'où la qualité effarante de toute traduction de cet ouvrage, ou de toute illustration à laquelle l'on veuille s'exercer. On est forcément, par notre savoir-faire borné à ne pas rendre la blessure de Dante, ou à l'identifier maladroitement à notre propre blessure, ce qui pourrait être arrivé à Botticelli.

(cela se poursuit en cliquant)

...

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